Cycle éternel [Tony]

Je vis dans ce monde, je le connais et bien que cela fasse un moment que j'y réside, je me prenais à découvrir de nouveaux lieux. Cela aurait dû être normal je suppose, vu que moi-même, avec du temps et de l'énergie, pouvais faire ce genre de chose. Cela restait néanmoins intéressant, fascinant même, de voir que la monotonie n'était pas dans mon quotidien. Même s'il n'en avait jamais fait partie, en fait. Je ne me souviens pas d'un jour m'être dit que cette vie était ennuyante, que je savais à quoi m'attendre. En vérité, il fut un temps où j'avais désiré cette monotonie avant de l'embrasser, aujourd'hui, je vivais en me levant tous les jours et en ignorant ce que j'allais pouvoir faire. J'avais des priorités, des envies, des obligations. Mais hormis cela, je n'étais pas comme ceux qui chaque jour se levait, et allait bosser, pour rentrer à heure fixe et préparer le repas, pour ensuite aller se reposer et recommencer le lendemain.

Le temps commençait lenement à devenir plus chaud, tout en restant étrangement frai. pourtant les corps commençaient à se découvrir, les femmes resortaient les jupes, bref, un nouveau défilé apparaissait. Je ne détonnais pas telement dans la masse, que du contraire, je m'y fondais avec une efficacité troublante, sans doute parce que je ne désirais pas être dérangé et parce que je faisais en sorte d'être absolument comme tout le monde. Non en modifiant mon apparence, mais en adaptant ma démarche, mon regard.

J'avais une raison pour me déplacer ainsi, sans le moindre désir de me faire arrêter. J'étais en quelque sorte pressé, parce que ma demande prochaine était importante, et ne souffrait aucun retard. J'avais suffisemment patienté, et l'événement était assez rare que pour m'obliger à réagir. Jamais pareille occasion ne serait plus parfaite, jamais les conditions ne seraient aussi bien réunies. Quelles conditions ? Celles de ma magie. Lunaire, j'entends. La lune sera dans son cycle le plus parfait, durant le mois le plus parfait et dans le signe astral le plus prometteur et le plus à même de m'aider dans la création.

J'aurais sans doute pu faire ce que j'attendais par moi-même, mais je répugnais à utiliser soit ma magie, soit... Je ne pouvais simplement pas forger moi-même la lame, quand bien même j'en aurais eut les connaissance nécessaire. Ma main gauche, tout comme mon bras, n'avaient plus la force nécessaire. Ma lame serait une arme maladroite alors qu'elle devait se révéler parfaite et pure. Conclusion, j'allais en direction de la forge Windell. Une fois devant, tant la chaleur que je sentais pulser, que l'odeur, faillit me faire tourner talons. Cela ne sentait pas mauvais, pas vraiment, j'avais sentis bien pire. Et il ne faisait pas vraiment chaud : mais cela restait... désagréable, comme une irritation quelque part derrière ma conscience. J'entrai dans le bâtiment, regardant vaguement sur les côté, effleurant de ma main droite quelques matériaux, quelques outils. Je m'imprégnais simplement de la chose tout en restant irrémédiablement fermé à ce que cela pouvait représenter parce que je ne possédais pas la sensibilité nécessaire pour plier le métal à ma volonté.

Je me tournai lorsque des bruits de pas se firent entendre, et qu'une ombre se dressa dans mon dos, étendant sa silhouette sombre devant moi. Le regardai, penchant la tête sur le côté, mon regard, bien malgré moi, détaillant le corps qui me faisait face, curieux, ou en donnant l'impression. Cela me donnait immanquablement l'air plus jeune, plus innocent, presque enfantin.

- Que puis-je faire pour vous, Monsieur ?
- Une lame.
- Bien-sûr. Des préférences, des exigences ?

Il parlait avec cette calme patience que tous les commerçants se doivent d'avoir. Il parlait avec le sourire, une certaine condescendance, je crois. Il ne me prenait pas pour un imbécile, mais mes réponses étaient si courtes et si banales que je lui donnais sans doute l'impression de ne pas du tout savoir ce que je désirais.

- Quelqu'un qui ne risque pas d’offenser ma magie par son ignorance. Auriez-vous parmi vos forgerons, quelqu'un ayant des connaissances dans le cycle lunaire ?
- Vous ne pouviez pas mieux demander...

La pleine lune datait d'hier. La dernière j'entends. Parce que je me connaissais mieux que personne, je m'étais dirigé naturellement avec la Forge alors que la lune illuminait encore le monde de son spectre argenté. Si je rentrais chez moi, je n'aurais pas le courage de faire le chemin jusqu'ici pour aller travailler et même si j'étais conscient que j'allais probablement passer l'essentiel de la journée à me traîner comme une âme en peine sans me montrer d'une grande utilité. Mais au moins j'aurais le bon goût de faire acte de présence ce qui ne saurait pas passer inaperçu.
Pour l'heure, j'étais pelotonné dans un coin de la forge où je m'étais aménagé un petit espace personnel où je pouvais me remettre de ma fatigue. Ce n'était pas évident de passer à l'état de puissance presque débordante qui va de paire avec la pleine lune à l'état de presque apathie qui survenait une fois celle-ci passée. On allait d'un extrême à l'autre et cela m'étourdissait toujours énormément, me contraignant à larver ici ou là pour tenter de m'en remettre. Je reniflais et attirais contre moi une couverture miteuse, la roulant en boule et la serrant contre ma poitrine tandis qu'une partie me servait d'oreiller. Pelotonné-là, je pouvais presque faire abstraction aux sons assourdissants qui provenaient de la forge. La chaleur n'était assurément pas d'une aide quelconque pour me motiver, c'était plutôt l'inverse. Je bâillais doucement et frottais mon visage contre le tissu rêche de la couverture, sentant l'odeur familière de la forge et celle, doucereuse, du tissu passé d'âge dont je me servais comme coussin option peluche. Je soupirais doucement et m'enfonçais lentement dans une douce torpeur, bercé par le coup régulier comme un métronome des marteaux, des burins, le cliquetis des pinces et le souffle des forgerons.

Je m'endormis jusqu'à ce qu'une voix étrangère ne me parvienne. On avait souvent des clients mais aujourd'hui était une journée plutôt calme. La plupart des gens passaient commande en début de semaine et quelques retardataires se disséminaient au cours de la journée. Là, on était en milieu de semaine. Les rushs d'accueil se faisaient en moyenne en début et en fin de semaine, ça se calmait vraisemblablement au milieu donc. Je clignais des yeux et soupirais, resserrant ma prise sur mon coussin option peluche, celle-ci s'étant relâché au cours de mon sommeil. Je ne pus m'empêcher de tendre l'oreille, captant des bribes de la conversation au milieu du vacarme. Je gémis en comprenant que le travail allait m'être attribué. J'entendis clairement l'autre sadique inspirer fortement avec la ferme intention de gueuler mon nom. Le salopard savait pertinemment que je végétais allègrement dans mon état « post-pleine lune » et se réjouissait d'avance à l'idée de m'éclater les oreilles en beuglant mon nom.

« - TA GUEULE ! »

En lieu et place de mon nom, je l'entendis éclater de rire et je grognais en écho, me redressant en position assise. Je l'entendis rassurer notre « client » en disant que j'arrivais et grognais de nouveau. Je me frottais les yeux et réarrangeais ma tignasse en espérant avoir l'air à peu près humain... à défaut d'avoir l'air vivant. Je me redressais et émergeais de ma petite retraite, apparaissant d'un petit coin formé par les caisses d'outils et de lingot de métaux en tout genre. Je jetais un regard au client, ne trouvant même pas la force d'avoir l'air de mauvaise humeur. Je trouvais néanmoins le courage d'adresser un regard noir à mon collègue qui s'éloigna en souriant, ravi. Je notais dans un coin de me venger d'une manière ou d'une autre.
Je m'intéressais enfin au client venu pour une lame de nuit et l'observais. Quelques secondes furent nécessaire pour que je le reconnaisse et un léger sourire ourla mes lèvres comme je m'approchais. Mon petit roupillon m'avait aidé à récupérer un peu et je ressemblais un peu moins à un zombie qu'en arrivant. Mes cheveux étaient lâches, un peu en bataille et j'avais probablement la trace de mon oreiller improvisé sur la joue mais au moins je me déplaçais normalement et pas avec une démarche de limace sous anesthésie générale. Je le détaillais du regard et humais légèrement l'air, cherchant la trace familière de sa fille mais il n'y avait que lui.

« - Donc... une lame. En relation avec le cycle lunaire ? »

Je me frottais un peu le visage et serrais les mâchoires pour contenir un bâillement. Je m'immobilisais en face de lui, appuyant ma hanche contre un établi en croisant les bras.

« - Tu sais ce que tu veux précisément ? Un cycle complet ou une phase particulière ? »

La voix venue du fond de la forge, de quelque part perdu entre des caisses et des outils me parvint. Je me penchai légèrement sur le côté, pour observer la chose qui lentement émergeait. Je le niai très rapidement sitôt en vérité que l'autre tentait de me rassurer sur les capacité du garçon qui apparemment me serait désigné. Je lui offris juste un sourire de circonstance, à la fois doux et rassurant avant de reporter mon attention sur mon... celui qui devrait normalement m'aider. Il me regarda un instant, bref, et pendant qu'il s'amusait à foudroyer son patron du regard, j'eus tout le loisir de l'examiner. Il y avait quelque chose, derrière ma tête, dans une région que je préférais laisser en paix en règle général, qui s'éveilla. Semblable à un souvenir qu'on a enterré avant de l'exhumer avec violence.

Ce n'était pas quelque chose de désagréable. Tout du moins, pas directement lié à sa personne, de cela, j'en étais sûr. Je savais donc que je ne devais pas lui en vouloir, surtout pas lui. Je ressentais quelque chose d'autre, au contraire, un sentiment de profonde reconnaissance. Le patron s'éloigna avec un dernier rire, un dernier regard pour nous, signifiant que j'étais entre de bonnes mains, et je le croyais. L'homme qui s'approchait avait un sourire sur les lèvres, quelque chose de léger, qui lui seyait à merveille, sans doute plus qu'un éclat vif et sincère. Probablement parce que cela eut été indécent dans une situation pareille. Il avait les cheveux vaguement remis en ordre, mais en vérité, on aurait pu croire qu'il venait de subir l'attaque vengeresse d'un enfant prit d'inspiration capillaire. Un autre détail qui me sauta aux yeux, est qu'il était bien plus agréable à regarder que le patron de ces lieux. Et il dégageait également autre chose. Une force tranquille que je ne désirais pas réellement réveiller.

Puis la lumière se fis, en même temps qu'il relevais légèrement le visage, respirant un peu plus profondément., semblant humer l'air. Et je ris doucement en secouant la tête, un rire léger et clair, peut-être pas doux ni tendre, mais... très légèrement amusé, contenu. Mon regard s'éclaire d'un nouvel intérêt, tandis que je semblais littéralement l'englober. Je me souvenais, je me concentrais juste sur ce souvenir, de ce personnage que je n'avais jamais vu que sous sa forme lupine. Alors d'où me venait cette certitude ? Probablement ce calme, cette force et cette impression qu'il dégageait. Le repos que mon cœur durant un instant acceptait avant de se rappeler que le repos n'est pas quelque chose d'acceptable. Et si je pouvais encore douter, il y avait ce collier, échappant à demi de son haut, que je reconnaissais plus surement que tout autre chose.

- Cela te pose-t-il un problème ?

Mon ton était interrogateur, mais ouvertement amusé, donnant à cette phrase une signification un brin plus profond, comme si je tentais de le titiller, de le défier, ou de le prendre pour un sourd imbécile. Comme si je sous-entendait qu'il n'en serait pas capable, alors qu'il était certain qu'il était qualifié. Et que cela me ferait véritablement plaisir que cet être fasse cela pour moi. Il réprima un bâillement, et cela me fit légèrement froncer les sourcil, sentiment, quel qu'il soit, qui fut réprimé en une fraction de seconde.

- Sera-tu capable de tenir éveillé ou dois-je chercher quelqu'un d'autre ?

Cette fois toute trace d'amusement avait déserter ma voix pour laisser place au sérieux. Je comprenais qu'il puisse être épuisé, la lune ayant été un disque parfait la nuit dernière. Je comprenais, ne le jugeais pas, mais préférais qu'il me dise clairement s'il n'était pas capable de bosser les prochaines nuits sans se reposer. Il me fallu un moment avant d'accepter de répondre à sa question, imitant sa position sur le plan de travail en face de lui, ma cheville effleurant la sienne.

- La Lune Bleue. Tu dois savoir qu'elle est pour bientôt et ce qu'elle représente. Elle entrera également en verseau.

Verseau... pour accroître les facultés créatives, les projets originaux et novateurs et dans son sens artistique, elle aidait à favoriser la liberté, l’amitié ainsi que la rupture avec des habitudes néfastes. Parfaite, je le répétais. Je me passai une main dans les cheveux avant de reprendre, lentement :

- Et enfin, en Lune Chaste. C'est important que tu comprennes l'importance de tout ceci. Ces éléments ne seront pas réunis avant quelques siècles.

Pas tous dans une continuité si parfaite. Et je tenais à chaque signification et tout particulièrement pour la lune chaste. Elle amenait le succès et l'espoir. Elle était idéale pour la nouveauté et le purisme. C'est un bon temps pour bénir les plantes et herbes magiques et pour préparer la terre afin qu'elle accueille les semences qu'on voudrait y planter au printemps. Elle est aussi utile pour se préparer mentalement pour de nouvelles expériences, pour un nouvel emploi, pour une grossesse, pour un voyage ou pour l'arrivée d'un nouvel animal de compagnie. Cela ne me serait pas à grand chose pur la fin, mais l'espoir et les plantes... me concernait. j'avais besoin de cela.

- Tu as du temps, je m'y suis pris à l'avance, afin de pallier à toute éventualité. Tu pourras t'entraîner pour la création de la lame.

Je me dégageai du plan d'une vague poussée de la hanche pour m'approcher de l'homme, m'arrêtant une fois à ses côtés, dépliant une feuille de papier pour lui montrer l'esquisse précise que je désirais. Du moins, l'angle, la finesse y était, pour le reste, je m'en moquais.

-Et je devrais être présent lors de la Lune bleue, donc lors de la finition. Et si tu pouvais travailler près d'une source d'eau, ça serait réellement parfait.

Je constatais rapidement que la reconnaissance ne s'était pas faite que d'un seul côté et je lui adressais un sourire un peu plus franc, comme si j'approuvais. J'étais... un peu content. Ça remontait à loin. L'âge ne me rendait pas sénile mais je ne ressassais pas le passé, jamais, je vivais au jour le jour et je me rappelais des choses lorsque cela s'avérait nécessaire. Ce type que l'on venait de m'adresser comme étant un nouveau client n'était pas tout à fait un inconnu. Lors de la Purge il avait été prit dans les filets de l'église et enfermé avec des dizaines d'autres dans un bâtiment dont l'usage était révoltant. La torture, le questionnement, l'interrogation. Si on poussait les sévices assez loin, un homme était prêt à confesser les pires horreurs peu importe qu'il ne s'agisse que d'invention de sa part. Tout pourvu que la souffrance cesse enfin, j'ignorais combien de ces ères étaient réellement des sorciers ou des sorcières. Il était juste hors de question qu'à cette époque des grands changements, de la migration vers un futur sauf et prometteur, des gens soient laissés derrière. Il avait fait parti de ceux que j'avais aidé à gagner le Sanctuaire. C'était un souvenir agréable si je mettais de côté les points négatifs. J'avais sauvé des vies, aidé des gens. J'avais été utile... et je me souvenais de cette nuit éclairée par l'orange des torches sous le regard attentif et inévitable de Selene. La fatigue se dissipa petit à petit, remplacé par un bien-être plus ou moins familier. C'était l'effet que la lune avait sur moi, elle me rassurait, elle était le point d'ancrage qui me permettait de garder la tête froide. Où que je regarde, elle était toujours là. L'unique assurance au cours de mon existence. Mais il y avait quelque chose d'autre, c'était ténu mais c'était là. De là à savoir de quoi il s'agissait, c'était un pas que je n'étais pas encore en mesure de franchir.
Je soufflais en levant les yeux au ciel à sa provocation, un poil prétentieux.

« - Rien ne me pose problème. »

Mon évidente fatigue sembla l'inquiéter légèrement et je me frottais l’œil gauche du pouce puis la mâchoire.

« - Cette nuit encore je courrais avec le vent et rien ne pouvait m'arrêter. Si on a besoin de moi, la fatigue ne sera pas une source d'inquiétude. Je peux faire ce qu'on attend de moi. »

Je n'avais jamais su expliquer les choses correctement. Je suis un vieux loup et pour cette raison, on est en droit de s'attendre à ce que la fin de la pleine lune ne m'affecte pas autant que n'importe quel autre Lycan. La vérité c'est que l'effet restait le même, j'étais juste en mesure de la mettre de côté et de passer outre. Le reste de l'équipe le savait mais me ménageait quand même parce que c'était là et que si ce n'était pas le cas, je ne ferais pas tout un foin pour me reposer un peu.
Dans tous les cas, mon assurance sembla le rassurer parce qu'il poursuivit, embrayant sur ce qui m'intéressait : les détails. Il mentionna la Lune Bleue et je dû faire un effort titanesque pour ne pas sourire béatement. La plupart des mordus redoutent la pleine lune avec une ardeur compréhensive, la transformation était une torture pour tout le monde. J'ignorais comment réagissaient les autres Nés Lycans mais moi j'attendais chaque pleine lune avec une impatience grandissante, je trépignais le jour qui la précède comme un enfant la veille de Noël. La douleur n'était pas un frein, pas quand la liberté qui m'attendait après valait toutes les peines. Je ne compris pas tout ce dont il parla, la lune est comme une déesse pour moi mais je ne me suis jamais plongé dans ses arcanes. Je l'aime comme elle est, ses subtilités ne me sont pas toutes connues mais j'écoutais ses demandes avec attention. J'irais me renseigner pour savoir si cela devait avoir une influence sur mon travail. J'en doutais mais j'avais déjà une idée de l'endroit idéal pour faire ce que j'avais à faire. Je retins un son arrogant à sa proposition de « m'entraîner ». J'avais forgé ma part d'épées, de dagues en tout genre sans parler des autres commandes qu'on recevait tous les jours. C'était un travail monstrueux qu'on abattait jour après jour, restant parfois la nuit pour achever une tâche compliquée.
Il se dégagea d'un mouvement souple et je suivis du regard sa longue silhouette tandis qu'il approchait. Souple, longiligne. Il était svelte et beau. Je l'avais déjà relevé cette nuit-là mais je n'avais pas eut l'occasion de m'y attarder plus que nécessaire. J'attrapais la feuille qu'il me tendit et y jetais un coup d’œil acéré. L'esquisse était grossière, exempte des détails que l'on pourrait trouver sur une commande précise et parfaitement étudiée. Ce qu'il voulait, c'était une arme fonctionnelle forgée selon des circonstances précises. L'esthétique importait peu. À sa dernière précision concernant la source d'eau je fus forcé de changer l’emplacement que j'avais en tête et celui qui me vint naturellement à l'esprit était évident.

« - Ta présence ne me posera aucun soucis, tu peux m'accompagner chaque nuit si tu le souhaites. Pour un effet optimal, la lame devra être en contact constant avec un rayon de lune. La proximité d'une source d'eau ne posera pas de problème, il me faudra juste apporter un forge et la construire sur place. Si tu veux participer à l'ouvrage, je pourrais bien te trouver du travail mais ce n'est pas un obligation. »

Je haussais les épaules pour appuyer le fait que son aide n'était pas indispensable mais que s'il souhaitait participer à la confection, il ne serait pas refoulé. Je m'écartais et me mis face à l'établi, tendant le bras pour m'emparer d'un crayon de bois. Il y en avait un peu partout. Il nous arrivait de marquer le fer pour les modifications à apporter, pour noter ou simplement pour dessiner un croquis. Forger ce n'est pas seulement frapper un bout de métal jusqu'à ce qu'il ai la bonne forme, c'était aussi un certain don artistique. Certains étaient incapables de dessiner un rond sans obtenir une forme approximative. Ce n'était pas mon cas. Je pris son croquis comme base et redessinais par dessus, ajoutant des détails, retraçant des courbes là où il n'y en avait pas. Je rajoutais des détails, dessinais quelques décorations qui pourraient offrir à l'arme un aspect plus élégant, plus raffiné. La lune était une muse des plus généreuse et cette commande chantait pour moi.

« - Je peux te proposer ça. »

Je lui tendis l'esquisse avec un sourire et repris :

« - Je pense placer la forge au Rocher des Sirènes. J'irais en éclaireur une fois notre entretien terminé pour m'assurer que ça ne posera pas de problème. Après quoi, je pourrais commencer la construction d'une forge temporaire. As-tu un matériau de prédilection ? Je peux manipuler l'argent avec quelques précautions donc ne te gêne pas de ce côté là. »

Je voulus rajouter quelque chose mais j'hésitais. Ce n'était pas anodin et je ne l'aurais probablement pas proposé à une personne lambda. Seules les personnes qui me paraissaient être de confiance pourraient y avoir « droit ». Yzebel et quelques rares élus. Un étranger pourrait également se voir attribué cette « fleur » si mon instinct m'assurait que je ne me trompais pas. Avec ce type, je savais que je ne me trompais pas. Le souvenir de cette nuit-là me revint à l'esprit et je repris plus doucement :

« - Si tu veux une lame la plus en accord avec la lune possible, je peux te proposer quelque chose. Ce ne sera pas gratuit cependant. L'un des meilleurs réceptacle pour la magie lunaire n'est pas forcément une évidence pour tout le monde mais je pense que tu devrais comprendre. Je peux... me servir de mon sang. Y'a rien de mieux que du sang de lycan pour aller de pair avec la lune. Ça renforcera considérablement son utilité. Il se peut même que des propriétés inattendues puissent... eh bien apparaître. »

Je souris à son geste simple, le souffle qui extirpe de ses poumons, non pas ennuyé, mais répondant à ma provocation. Il n'y avait rien de méchant dans tout ceci, à peine était-ce un jeu destiné à éveiller notre intérêt après notre... quoi, redécouverte ? Retrouvaille ? Nous ne nous connaissions pas, à peine nous étions-nous rencontré une fois, et pas dans les meilleures conditions qui soit. Peut-être aurais-je pris la peine de faire connaissance par le passé, s'il n'y avait pas eut tout cela. Peut-être aurais-je pu envisager de l'aider dans le sauvetage des autres malheureux et peut-être aurais-je pu vouloir me lier d'amitié avec lui. Seulement voilà, l'Histoire fait que cela ne fut pas possible. Je n'avais pas été dans les bonnes conditions et je me souvenais fort bien de ce que j'avais fait, de ce qui m'avait ramené mon enfant. Je le ferai à nouveau si je le devais, mais se mettre à genoux et supplier un loup remet en question pas mal de choses, une fois que nous avons la tête reposée. Et pas supplier pour notre vie, pas par crainte, mais par aveux qu'on est trop faible que pour se relever et sauver par nous-mêmes ce qui compte le plus à nos yeux. Ce souvenir est douloureux, cet aveu inacceptable.

Je secouai la tête doucement à la suite de ses mots, temps pour lui signifier qu'il n'avait pas à se justifier devant moi que pour lui rappeler que j'avais conscience de ses capacités. Que j'étais probablement aussi une des nombreuses personnes à ne pas avoir le droit de douter de lui. Je me souvenais de ma dette et aujourd'hui le Destin s'amusait à me mettre sous le nez l'auteur de ma survie. Je ne pouvais décemment tourner le dos et cracher sur le passé. Je ne peux faire cela tout simplement parce que j'étais incapable de me détourner complètement de mon histoire. Elle avait fait de moi l'être que je suis aujourd'hui, il aurait été ingrat que de l'oublier. Et chacun de mes choix, chacune de mes décisions et erreurs m'avaient conduit sur cette terre, à ce jour.

- Je te fais confiance pour ça.

Je continuai, peu désireux de m'attarder sur cela, et préférant expliquer ce que j'attendais vraiment de son travail. Vu l'air qu'il tirait, il semblait évident qu'il ne comprenait pas. Du moins pas toute les implication et je me retins de lever les yeux au ciel. Il vivait avec nuit, avec la Dame Blanche et ses amies Lumineuses. Et il osait ignorer certaines de ses facettes ?Je ne doutais pas qu'il connaisse Sélène dans sa glorieuse beauté et sa puissance. Je ne doutais même pas qui puisse la considérer comme une déesse conciliante, veillant sur ses enfants. Il m'était juste difficile d'imaginer que l'un d'eux puisse ignorer certaines facettes. Probablement n'en avait-il pas l'utilité. Pas comme moi en tout cas. Les loups n'utilisent pas la magie, ils n'en ont pas besoin.

- Ne me regarde pas ainsi, je ne voulais rien insinuer. Je te donne juste l'occasion de faire mieux que parfait. C'est ce que j'exige de toi pour ce travail. Et je sais de source sûre que tu peux en être capable.

J'haussai doucement les épaules. Il se dégageait de ma personne une force douce, une nonchalance certaine qui semblait me donner un côté non pas indifférent à ce qui m'entourait, mais au moins le recul nécessaire pour tout comprendre. Ou pour tenter de comprendre. Je me dégageai du plan de travail pour m'avancer vers lui, sentant son regard s'accrocher à ma personne et me suivant jusqu'à ce que je fusse assez proche que pour lui tendre le croquis grossier que j'avais fait. Les lignes étaient simples et efficaces, rien n'était laissé au hasard. On comprenait du premier coup d'oeil ce que je désirais et les lignes au crayon étaient suffisamment sûres que pour montrer que cela avait été étudié et pensé. Le dessin était peut-être exempte de détails, mais il n'y en avait pas besoin. Le plus important y était, quant au reste, cela serait à voir directement ici. A discuter avec celui qui serait mon partenaire durant tout le temps du travail.

Il tourna la tête à mes paroles et je fis de même, rendant la position tout aussi absurde qu'inconfortable. Je l'écoutai, mes yeux plantés sur sa silhouette, essayant probablement de, je ne sais pas, détecter une trace de moquerie ou de mensonge. On apprend vite à tenter de déceler cela chez les autres, question de survie.

- En effet. Je te donnerai un fragment de rayon de lune à incruster, mais cela ne sera pas pour tout de suite. Forcément cela sera le jour de la lune bleue, au moment où elle est la plus puissante. Nous terminerons la dague à se moment là.

Quant à l'aide, je doutais que je serais d'une quelconque utilité. Je pouvais être présent, mais plus pour m'assurer que tout irait bien, pour me familiariser avec la lame et sa naissance, pour qu'elle s'habitue à moi. Je pense que de pareilles armes ne sont pas dénuées de sensibilité, de caractère. Elles n'ont peut-être pas d'âmes, mais elles ont quelque chose qui les rendent extraordinaires. Il s'écarta et je revins poser mon attention sur la feuille en papier que je lui avais donnée. Il chercha un instant avant de trouver un crayon et commença à tracer de nouveaux traits par dessus l'esquisse. Il traça de nouvelles courbes, rajouta des détails inutiles mais rendant l'arme plus élégante. Il semblait inspiré, concentré sur le dessin et le travail futur. Il semblait aimer ce qu'il faisait, laissant son imagination, son esprit allez à la dérive et j'en suis sûr, se lier un instant à Sélène pour savoir ce qui irait le mieux.

- Je te fournirai le matériau pour le pommeau. Pour le métal, si tu savais utiliser de l'uranium et du chrome. Avec une touche de fer...

Il ne doit pas souvent songer à devoir utiliser plusieurs métaux. Pourtant chacun ont une signification directement lié à la lune. L'uranium et le chrome étaient parfaits pour s'accorder avec le signe verseau tandis que l'alliage basique du fer non seulement stabiliserait les composant mais en plus chargerait son métal des rayons de la lune chaste à qui il était lié. De plus la couleur de chacun des composant était directement... Ils ne pouvaient mieux s'associer. L'uranium, si le loup l'utilisait en quantité adéquate, donnerait quelques veinules d'un vert somptueux tandis que le chrome, ressemblant à un gris sombre et brillant, ne saurait que souligner les courbes de la lame. Mon regard s'adoucit lorsque je remarquai son hésitation. Cela semblait important et je ne souhaitais pas l'influencer dans son choix. J'avais besoin de sa confiance pour ceci, ce travail nécessitait une coordination parfaite et une entente toute aussi parfaite entre nous. Je ne pouvais confier quelque chose d'aussi important à une personne pour qui je ne ressentais rien d'autre que de l'indifférence.

Sa proposition éveilla quelque chose en moi, une bête qui avait été tenue en sommeil jusque maintenant et qui griffait pour se libérer. C'était une curiosité morbide, directement liée à mon penchant néfaste pour la nécromancie. Cela n'avait pourtant rien à voir... Et je craignais que d'accepter ce qui était probablement un aubaine, allait finalement être plus néfaste qu'autre chose.

- Ecoute je...

Ce n'était probablement pas la réaction à laquelle il devait s'attendre. Je ne sais pas mais, s'il proposait cela, ce qu'il ne devait pas faire avec tout le monde, c'est qu'il ressentait quelque chose envers moi de suffisamment bon que pour me le proposer. Je ne parler pas de sentiment autre que la confiance là, ce qui était à peine étonnant. On parle d'un homme vivant parfois comme un animal. Il devait sentir le danger et la fausseté aussi bien que je sentais la pourriture et la mort arriver. Et moi qui semble vénérer la lune, je refusais ou du moins hésitais devant le présent qu'il m'offrait ?

- Je te dois assez comme ça, pas besoin que tu m'offres ton sang en plus.

Ce n'était qu'une part de la vérité. En plus de ce que cela signifierait pour mon autre magie et pour la lame. Difficile de faire plus personnel que le sang. S'il en versait sur ma dague, elle lui appartiendrait avant d'être à moi. Je me passai un main fatiguée sur le visage et revins à lui, un instant plus tard.

- De plus je crains que la lame ne te soit plus fidèle qu'à moi si tu utilises ton sang. Même en infime quantité. Si en revanche tu m'assures que cela n'influencera en rien le comportement de la dague, alors il te suffira de me convaincre moi, que c'est une bonne idée. Sauf que je ne crois pas que cela soit ton genre d'argumenter pour une telle chose.

Je fredonnais discrètement lorsqu'il mentionna le fragment de lune. Je n'en avais jamais trouvé. Jamais cherché non plus. La curiosité se manifesta et s'éclaira dans un recoin de mon esprit. Quel genre de conséquences pouvaient avoir le contact d'une telle roche sur un être de mon espèce. Je hochais néanmoins la tête à ses instructions, mettant déjà en place un plan assez fidèle des différentes étapes. D'abord, j'allais devoir m'occuper de la forge. On était peut-être dans une période « post pleine lune » je restait un Loup-Garou et même au plus bas de mes capacités, je restais largement capable de m'occuper de ce genre de chose. Même vulnérable, un Lycan reste létal.

« - Les métaux que tu proposes ne poseront pas de problème. On a des fournisseurs si tu n'en disposes pas toi-même. »

Je calculais rapidement la quantité de chacun des matériaux afin d'obtenir l'équilibre le plus efficace possible sans perdre en solidité dans la lame ni en efficacité sur le plan magique. Je ne m'y connaissais pas parfaitement, je n'y connaissais même pour ainsi dire rien hormis les connaissances communes. En revanche je connaissais mon travail sur le bout des doigts et j'étais bon dans mon domaine. Je ne connaissais peut-être pas les aspects technique de la sorcellerie ni les subtilités liées à tout ce à quoi elle peut se rapporter, mais je connaissais les propriétés des métaux et de tout ce qui pouvait se rapprocher de près ou de loin à l'art de Forger. Je continuais d'apprendre, on ne cessait jamais d'apprendre, mais j'étais bon. Vraiment.
Lorsque je me tournais enfin vers lui pour lui proposer ce à quoi son projet m'avait immédiatement fait penser, je vis quelque chose passer dans son regard. C'était vif comme l'offensive d'un serpent... et c'était tout aussi dangereux. La convoitise et quelque chose de plus sombre tapi dans les replis de sa conscience comme un monstre des profondeurs attendant le bon moment pour se manifester, surgir de l'obscurité. Je l'observais attentivement. L'éclat était passé depuis longtemps, n'avait existé que durant une fraction de seconde, assez pour me hérisser les poils et me rendre discrètement méfiant. Mais sa réponse me détendit.

Il aurait été hypocrite de ma part de le juger là-dessus, mais j'avais désormais conscience que je devais être prudent. C'était comme pour tout, lui aussi se devait de l'être en ma présence, n'importe qui devait l'être. Et tout le monde cache en lui une part d'obscurité. Ce qui importait c'était ce qu'on choisissait d'en faire. J'attendis qu'il développe, l'observant attentivement. J'ignorais ce qui tournait exactement dans sa petite tête couronnée de cheveux sombres mais il semblait lutter pour exprimer ce qui le taraudait. Ses premiers mots m'arrachèrent un grognement exaspéré :

« - Pour l'instant tu ne me dois rien. Quand j'aurais fini cette dague, tu me devras quelque chose. Et ça se compte uniquement en terme monétaire, c'est clair ? »

Comme si j'avais passé cette putain de nuit à me faire roussir la couenne pour collectionner les dettes chez les gens. Et puis quoi encore. La seule raison pour laquelle il savait qui j'étais tenait du pendentif qui reposait sur ma poitrine, c'était le seul signe. Et je ne le cachais pas parce que je n'avais aucune raison de le faire, ce n'était pas non plus une manière de lui rappeler ce qu'il me devait.
J'attrapais d'ailleurs le petit collier :

« - En ce qui me concerne, ceci me suffit largement. »

Il n'avait probablement aucune valeur marchande, je n'avais pas pris la peine de me renseigner étant donné que je n'en avais strictement rien à faire. Mais le geste comptait à sa façon. J'en ferais pas des tonnes à ce sujet, c'était inutile, mais pour moi l'affaire était close depuis des siècles.
Il poursuivit néanmoins et cette fois, mentionna autre chose et je croisais les bras, appuyant mes hanches contre le plan de travail en haussant un sourcil :

« - Tu cherches à m'insulter ? C'est ça ? »

Ça aurait pu être agressif mais une légère torsion de mes lèvres indiquait une forme d'amusement. Je poursuivis rapidement afin de couper court à la chose :

« - Je suis forgeron depuis des siècles et je forge pour les sorciers depuis au moins autant de temps, je connais mon travail. Je ne t'apprends pas comment lancer un sort que je sache. C'était d'ailleurs pour te donner l'occasion de te familiariser avec que je te proposais de travailler avec moi. Tenir les pinces, actionner les soufflets. En participant même de moindre façon à la conception... je haussais les épaules, tu sais mieux que moi en quoi ça peut aider. »

Je baissais les yeux sur la feuille et la récupérais, m'emparant à nouveau du crayon pour indiquer en dessous le pourcentage de métal que je pensais employer pour le chrome, l'uranium et le fer. Je pensais employer le fer sur un pourcentage plus important, utiliser le chrome en l'adaptant correctement avec le fer afin d'obtenir une couleur exquise et une résistance parfaite à la corrosion. L'uranium serait employé au court de la création même de la lame afin de veiner le métal et de lui permettre de donner autant un aspect superbe à l'arme que l'intégrer dans ses composants même. Je réfléchis et ajoutais les propriétés liées à chacun des métaux ainsi que la meilleure façon de les lier entre eux pour conserver chacun de leur aspect positif sans conserver le moindre effet négatif. J'allais devoir travailler longtemps sur l'intégration mais ça ne m'effrayait pas.
Je lui tendis la feuille pour qu'il puisse en prendre conscience et repris sur le sujet qui nous intéressait :

« - En ce qui concerne mon sang, c'est une offre à prendre ou à laisser. C'est le meilleur réceptacle organique que tu puisses trouver en rapport avec la lune. Même ton fragment ne vaut pas tripette. Même sans mon âge, le sang de loup-garou est le meilleur élément que tu puisses trouver pour coïncider avec le pouvoir de la lune. Notre existence entière dépend d'elle. »

Elle était à la fois notre bourreau et notre déesse. La transformation était un supplice pour chacun d'entre nous, une douleur qui déchirait sans partage, arrachait notre humanité pour revêtir le costume brutal de la bête. Je n'allais pas l'y forcer s'il ne voulait pas, il s'agissait de son domaine. Sa magie, sa lame. Il savait probablement mieux que moi s'il voulait de cet élément dans la panoplie de sa commande ou s'il n'en voulait pas. Son refus ne me vexerait pas de même que son accord ne ferait pas de lui une créature avide de pouvoir et obscène.
Je reposais le crayon sur l'établi et me frottais le visage. J'ignorais si j'allais le faire mais si deux pleine lune devaient se manifester au cours du moi, j'aurais à me transformer. Je pouvais m'en empêcher, rester humain mais deux fois dans le mois, c'était dangereux. Restreindre la bête, l'emprisonner et l'étouffer était le meilleur moyen de lui offrir l'opportunité d'exploser et d'emporter tout sur son passage. Je n'étais pas à l'abri d'une perte de contrôle. Je pouvais le faire, je le savais, je ne voulais juste pas courir un risque si je pouvais l'éviter. Je demanderais à l'un de mes partenaires de me préparer des outils que je pourrais manipuler sous ma forme animale. Certains étaient déjà prêts à l'emploi – ce n'était pas la première fois qu'on me demandait une lame en rapport avec la lune pleine – mais j'allais probablement manquer d'outils plus spécifiques.

« - À toi de voir. Je pense construire la forge au Lagon Azulys, près du rocher des sirènes. L'emplacement est idéal pour une exposition parfaite aux rayons de la lune. Je vais m'y rendre plus tard pour m'assurer que ça ne posera pas de problème. »

Je ne fis rien au son exaspéré qu'il fit. Je me contentais de l'observer sans rien dire, sans réagir, dans une immobilité qui aurait sans doute pu mettre mal à l'aise pas mal de gens. On aurait dit qu'il me faisait la morale ce qui m'amena à me demander s'il avait conscience de la valeur des choses, de ses actions et de ce qu'elles apportaient. Vint ensuite une certaine vexation. Pensait-il que je l'accusais ? Que j'insinuais qu'il avait fait cela pour un jour venir me réclamer quelque chose ? Peut-être pouvait-il le faire, mais j'étais intimement persuadé qu'il ne me demanderait rien, rien qui ne soit lié à cette nuit là. Je n'étais pas non plus prêt à l'entendre palabrer et argumenter là-dessus. Dans quel monde vivait-il pour penser que l'on pouvait effacer cela ? Vivait-il les yeux fermer, les mains sur les oreilles en chantant à tue-tête pour ne rien remarquer ? Pourtant il savait, il y avait été. Il avait risqué sa vie pour des inconnus. Cela ne valait pas rien, ou alors, il n'avait aucune considération pour sa vie et ce serait à moi de trouver une compensation adéquate.

Mon regard tomba sur le collier que je lui avais offert en guise de remerciement. Le seul souvenir qui nous rattachait. Annah était trop jeune et avait probablement tout oublié. D'autant qu'elle avait vécu une bonne partie de la nuit endormie, alors de cette nuit il ne restait que lui, moi, et un pendentif pour prouver que se fut une nuit glorieuse et que ma vie, il l'avait tenue entre ses patte. Qu'il avait eut la possibilité de m'abandonner et qu'il ne l'avait pas fait et mieux encore, à la place de se détourner, il était revenu pour m'apporter ce qui comptait le plus à mes yeux.

Je tendis la main vers les collier, effleurant le bijou ancien qui un jour, fut d'une grande importance pour moi. Les pierres étaient un peu ternies, les fils usés. C'était un bijou qui traversait les âges sans rien demander, résistant vaille que vaille, fidèle à son maître. Le loup ignorait probablement tout de la symbolique de ce pendentif, outre qu'il ressemblait à une croix au bout d'un long collier. Ce n'était pas de fausses pierres qui l'ornaient, pas plus qu'un alliage courant. Mais bien quelque chose qui était censé porter un peu chance, un peu bonheur, un peu protection. On me l'avait offert en m'affirmant que j'en aurais l'utilité, et je pense que c'était le cas. Il m'avait aidé, dans une certaine mesure, et une fois arrivé ici, où je devais être en sécurité, pourquoi le garder ? sur le moment, je n'avais pas songé à cela. Je voulais juste donner quelque chose au loup, pour lui témoigner ma gratitude. Je retirai mes doigts dès qu'ils rencontrèrent les siens, et je m'éloignai. Cela semblait naturel, ce n'était rien d'autre qu'un rappel à l'ordre de mon esprit sur mon corps.

- Justement, tu n'es pas le seul concerné.

Cela avait été de manière basse, mais il m'entendrait, malgré le vacarme que pouvait produire la forge. C'était aussi le ton qui cesse simplement d'être en accord avec mon physique. Ce n'était pas à lui de décider où non ce que je voulais faire pour le remercier. Pas à lui de décider si oui ou non j'avais une dette à payer ni quand elle serait remboursée. Et il n'avait pas son mot à dire, parce que je risquerai de me sentir insulté, réellement. Comme si pour lui, ce qu'il avait fait n'avait pas d'importance. Alors que cela en avait pour moi. Puis comme si tout cela n'avait pas existé, le sentiment fut étouffé, replié quelque part au fond de moi pour aborder un visage plus juvénile alors que je faisais de mon sourire, quelque chose de faussement innocent.

Je tournai mon regard vers l'extérieur, à mesure qu'il parlait, mon esprit lâchait pour oblitérer l'explication que je connaissais. Je cherchais des excuses pour ne pas accepter quelque chose qui n'influencerait que peu mon entente avec l'arme. Je ne doutais finalement pas qu'il puisse utiliser son sang comme d'un simple élément complémentaire, mais je doutais de moi. Pas incapable de contrôler la force qui découlerait de l'arme, mais des implications. Je craignais très vaguement aussi que le sang ne souille l magie qui ne demandait aucun sacrifice, tout en sachant que si cela provenait d'un enfant de la lune, ce don de sang ne serait que bien accepté.

Je pris machinalement la feuille lorsqu'il me la tendit et n'y portai qu'un unique regard, les lignes s'imprimant directement dans ma mémoire. Je ne suis pas un génie, mais j'ai une bonne mémoire visuelle. C'était utile pour créer des choses, se souvenir de ce qui existait déjà, et comment cela se présentait. Retenir à quoi ressemblerait ma lame ? aucun problème. ce n'était pas difficile. Je lâchai un rire qui n'avait absolument rien de joyeux. Il était un peu amusé, un peu narquois. Un peu tout, mais pas joyeux. Je tournai à peine la tête vers lui, mon regard allant de bas en haut de sa silhouette, semblant le jauger. Il disait vrai, il devait tout à la lune. Mais il n'était pas le seul. Il n'était même pas le seul privilégier. J'avais une foule de répliques cinglantes qui me venaient à l'esprit et aucune n'était sympathique à entendre. Leur vie ne dépendait pas de la Lune. La Lune leur avait craché dessus avant de reporter son regard bienveillant sur ses enfants maudit. Elle les obligeait à devenir de vulgaires monstres trois jours par mois, leur affligeant une douleur terrible. Trois fois par moi. Leur existence ne dépendait pas de la lune. Ils étaient soumis entièrement à la lune, tout comme moi, à une moindre mesure. Mais je restais conscient que sans elle, je ne serais pas ici. Je n'aurais pas rencontré ce loup, et je me ficherais même de son existence. Sans la Lune, je serais irrémédiablement corrompu, et ce de la manière la plus folle possible. Incontrôlable, tout simplement.

Ma tête se pencha en arrière et d'n coup je ressemblais bien plus à une poupée indolente et dangereuse. Mon sourire éclaira mon visage et mes yeux se plantèrent dans les siens. Son laïus ne me touchait pas. Je connaissais la lune aussi bien que lui, je ressentais ses effets et la seule différence notable entre lui et moi, c'est que je n'étais pas maudit par la Belle.

- En effet. Je suppose que tu es le mieux placé pour savoir ce qu'Elle acceptera le mieux. Tu es son amant fidèle avant moi, tu connais ses sombres desseins et son cruel jugement.

Je laissai passer un nouveau rire, léger, et fermai les yeux un instant, revenant dans une position plus correcte, moins provocatrice. Je ne désirais pas me disputer avec lui, mais je me connaissais suffisamment que pour deviner une chose très simple : un sang puissant et aussi vieux que le prétendait le loup, réveillerait ma curiosité et mon intérêt pour renouer avec la magie la plus noire. Offrir son sang signifiait bien plus à mes yeux que pour beaucoup de sorciers. Tous n'étaient pas versé dans l'art sombre, et moins encore dans la lugubre magie des morts. Et je suis suffisamment modeste que pour avouer ma faiblesse. Je me sais puissant magiquement parlant, capable de choses extraordinaires, capable de choses que d'autres ne pourraient faire, même avec beaucoup d'entraînement, et m'épuisant moins rapidement, grâce à mon héritage. Mais mentalement parlant... C'était une autre histoire.

Je me tournai enfin, venant vers lui, balayant ses mots comme si je ne les entendais pas. Je me postai devant lui, même hauteur, mes yeux dans les siens avant de se détourner, non parce que je ne peux le soutenir, mais parce que je cherche quelque chose, quelque chose que je ne trouve sans doute pas avec mes yeux, alors mes mains prennent le relais et viennent encadrer son visage, retracer les courbes, se perdant la chevelure sombre, caressant la chair chaude et douce. Avant de me détourner, semblant m'arracher à la contemplation.

- Je te fais confiance. Fais sorte que cela soit parfait, je sais que tu peux le faire.